Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition du 11 janvier 2016 du journal Le Gaboteur. La version ci-dessous a été légèrement modifiée.
Le 1er décembre 2015 a marqué le 10ème anniversaire de l’Accord sur les revendications territoriales entre les Inuits du Labrador et le gouvernement du Canada. Cet accord a accordé aux Inuits du Labrador des terres, des ressources et des droits à l’autonomie gouvernementale clairement définis. Le vaste territoire d’autonomie gouvernementale créé aux termes de cet accord s’appelle le Nunatsiavut. Dix ans plus tard, les Nunatsiavummiut sont encore très fiers de la signature de l’Accord et avaient le cœur aux célébrations et aux réjouissances en décembre dernier!
Les Inuits du Labrador furent grandement bouleversés par les changements apportés au cours des derniers siècles par l’arrivée des missionnaires moraves, l’entrée de Terre-Neuve au sein de la Confédération canadienne et la réinstallation imposée des habitants de Hebron, Okak et Nutak. Désirant reprendre un plus grand contrôle sur leur destinée, les Inuits du Labrador formèrent une association en 1973 et déposèrent une demande de revendication territoriale auprès du gouvernement canadien en 1978. De longues années de négociations s’en suivirent.
En décembre 2005, l’Accord sur les revendications territoriales entre les Inuits du Labrador et le gouvernement du Canada fut signé et un gouvernement de transition fut mis sur pied. La première Assemblée élue fut assermentée le 17 octobre 2006. En même temps, la réserve du parc national des Monts-Torngat fut créée.
Bienvenue au camp de base du parc national des Monts-Torngat!
« La réserve de parc national des Monts-Torngat est le présent qu’offrent les Inuits aux Canadiens », a déclaré Toby Andersen, négociateur en chef de l’Association des Inuits du Labrador devant le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, le 9 juin 2005, à Ottawa.
Processus décisionnel
Bien que le Nunatsiavut fasse toujours partie de la province de Terre-Neuve-et-Labrador, l’Accord a donné autorité au gouvernement du Nunatsiavut en matière de santé, d’éducation, de justice, de culture et de langue favorisant ainsi le développement économique, social, culturel et politique des Inuits du Labrador.
Les cinq communautés du Nunatsiavut – Nain, Hopedale, Postville, Makkovik, et Rigolet – sont représentées à l’Assemblée par un membre élu ainsi que par l’AngajukKâk (l’équivalent du maire) de la communauté. Des membres élus représentent aussi les Inuits du Labrador vivant dans la région de North West River et Happy Valley-Goose Bay ainsi que ceux habitant dans le reste du pays.
Photo de l’Assemblée du Nunatsiavut.
Suivant les traditions, le processus décisionnel de l’Assemblée est basé sur le consensus. La capitale législative du Nunatiavut est à Hopedale alors que la capitale administrative est à Nain. L’Assemblée siège sept fois par année.
Préoccupations d’hier et d’aujourd’hui
En fouillant dans les notes de l’Association des Inuits du Labrador, Isabella Pain, sous-ministre du secrétariat du Nunatsiavut et membre de l’équipe de négociation au moment de la signature de l’Accord, a fait des observations intéressantes lors des célébrations.
Isabella Pain à l’avant lors d’une présentation à Nain le 2 décembre dernier.
Il y a 30 ans, les priorités de l’Association étaient les suivantes : le logement, le déclin de la harde de caribous de la rivière George, la sécurité alimentaire et l’importance de contenu culturel approprié dans le curriculum scolaire. Et en 2015? Les priorités sont à peu près les mêmes. Selon madame Pain, ce n’est pas étonnant. « Avant, il était possible d’identifier les problèmes, mais pas de s’y attaquer de plein front. Maintenant, le gouvernement a le pouvoir et les ressources pour le faire », a-t-elle souligné. Tranquillement, les choses changent pour le mieux.
Depuis 2005, le gouvernement du Nunatsiavut a, entre autres, imposé un moratoire sur la chasse aux caribous, créé une association pour le logement abordable, mis sur pied des banques alimentaires, développé des programmes de baccalauréat pour les Inuits du Labrador en partenariat avec l’Université Memorial de Terre-Neuve. Les cours de ce programme sont offerts à Happy Valley-Goose Bay plutôt qu’à Terre-Neuve. Le gouvernement a également créé des modules d’enseignement de l’inuttitut pour le Newfoundland and Labrador School District, le conseil scolaire anglophone de la province.
La langue
La question de la langue est au cœur de bien des discussions ici. Madame Pain rappelait, lors des célébrations du 10e anniversaire, que pendant toutes les années de négociation avec l’Association des Inuits du Labrador, les réunions se tenaient en inuttitut. Aujourd’hui, l’Assemblée siège en anglais. C’est le monde à l’envers et ce n’est pas l’image du gouvernement rêvée au moment des négociations.
Malgré tout, la majorité s’accorde pour dire que la situation générale s’améliore. Grâce à des programmes comme Going Off, Going Strong, les plus jeunes ont retrouvé une fierté de leur identité. Ils sont fiers d’être Inuit, de savoir chasser, pêcher, de pouvoir préparer la nourriture traditionnelle et de la partager avec les aînés. Du même coup, l’envie de se réapproprier la langue est elle aussi de plus en plus grande.
Mandy reproduit des tatouages traditionnels sur le visage de Silpa ors d’une activité communautaire l’été dernier.
Il reste cependant beaucoup de chemin à parcourir avant d’atteindre les objectifs du gouvernement sur la langue et d’être en présence d’une fonction publique bilingue. Espérons que le temps, la volonté politique et l’attachement à la culture combleront le fossé laissé par une génération presqu’entièrement unilingue anglophone.
Partenariats et projets
En octobre 2015, l’Université Memorial de Terre-Neuve et le gouvernement du Nunatsiavut annonçaient leur collaboration sur un projet de recherche de 7,4 millions de dollars soutenu par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Ce projet permettra de fusionner la recherche académique et les connaissances traditionnelles dans le but de protéger, préserver et revitaliser la culture et la langue des Inuits du Labrador.
Certains projets sont déjà complétés ou en chantier tels que SakKijâjuk : la toute première exposition d’art Inuit du Labrador et Filles de Mikak : Célébrons le leadership des femmes inuites. Au cours des cinq prochaines années, ce projet rassemblera Inuits et chercheurs universitaires du Canada et des États-Unis ainsi que vingt institutions et organisations qui collaboreront à une cinquantaine de sous-projets.
Quelques pièces de l’exposition SakKijâjuk. En tout, ce sont plus de 80 artistes qui ont participé à cette toute première exposition d’art Inuit du Labrador.
Par le biais du centre de recherche de Nain, le gouvernement du Nunatsiavut a aussi lancé la campagne Make Muskrat Right en espérant limiter les effets négatifs du barrage hydroélectrique de Muskrat Falls. Le plan actuel aurait comme conséquence d’augmenter dramatiquement les concentrations de méthylmercure dans le lac Melville, contaminant ainsi certaines espèces très importantes dans la diète des Inuits du Labrador.
Après plusieurs années de règne conservateur, les Nunatsiavummiut ont d’ailleurs accueilli avec beaucoup d’espoir les résultats des élections fédérales et provinciales cet automne. Parce que bien qu’autonome, la destinée du Nunatsiavut est encore bien intimement liée à celle de la province et des Inuits des autres régions du Canada.